Les fonds vautours et les droits de l’homme
Les fonds vautours (Geierfonds) « sont des indicateurs de la nature injuste du système financier actuel, qui a un effet direct sur la jouissance des droits de l’homme ». C’est sur cette prémisse que le Conseil des droits de l’homme a confié à son Comité consultatif le soin de dresser un rapport. Il vient de publier sa première esquisse, sous la plume de Jean Ziegler, rapporteur.
La prise de bénéfice peut atteindre dix à vingt fois la mise de départ
Petit rappel : lorsqu’un Etat est incapable d’honorer sa dette souveraine, il est en situation de banqueroute, même si elle demeure théorique. Il n’y a pas de régime légal international qui gouverne ce défaut de paiement. L’Etat en question doit prendre des mesures pour restructurer sa dette extérieure, ce qui entraîne des négociations complexes avec une série de créditeurs. Certains d’entre eux refusent d’entrer dans ces discussions et préfèrent vendre – à prix discount – à des intermédiaires qui vont ensuite poursuivre les Etats débiteurs en justice pour leur faire payer leurs dettes. La prise de bénéfice peut atteindre dix à vingt fois la mise de départ. Ce sont les fonds vautours. L’exemple le plus connu est celui de l’Argentine, dont le règlement n’est toujours pas terminé.
L’Afrique, cible des fonds vautours
Ces fonds spéculatifs profitent d’une part de la faiblesse des Etats débiteurs, d’autre part de l’opacité des marchés secondaires sur lesquels se déroulent les rachats de dettes. L’opacité s’étend aux fonds eux-mêmes, souvent basés dans des paradis fiscaux. Le Comité consultatif note aussi qu’ils choisissent des juridictions qui leur sont favorables pour mener leurs poursuites, comme celles des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. De plus en plus, ils se rabattent sur les juridictions des pays eux-mêmes, peu outillées pour traiter ces dossiers très techniques. D’autres moyens de pression sont volontiers utilisés : lobbying, campagnes de presse, etc.
Selon le Fonds monétaire international, le règlement de la dette peut représenter jusqu’à 12 pourcent du produit intérieur brut d’un pays. Le rapport du comité souligne que le large taux de succès des fonds vautours – plus de 70 pourcent des cas – devrait entraîner leur prolifération. L’Afrique, y compris les « pays pauvres fortement endettés » (heavily indebted poor countries, HIPC), est la cible privilégiée des fonds prédateurs. En moyenne, huit pousuites sont entreprises chaque année sur ce contient.
La pression des fonds vautours entraîne des effets immédiats sur la capacité des Etats « à remplir leurs obligations en matière de droits de l’homme », selon le vocabulaire onusien, et touche notamment le « droit au développement », dont le droit à l’eau, aux sanitaires, à l’alimentation, au logement et à l’éducation. En effet, les pays endettés sont forcés de donner la priorité de remboursement exigés par la justice, donc aux fonds spéculatifs, par rapport aux débiteurs qui ont accepté une restructuration de leur dette pour aider le pays à s’en sortir.
Le Comité pose alors la question (qu’il qualifie de très controversée…) de savoir si un pays ne devrait pas être dans l’obligation de ne pas payer ses dettes à des fonds vautours si c’est au détriment des besoins sociaux de base de sa population. « Dans les faits, note-t-il, la pratique montre que l’approche normale à ce dilemme n’est pas souvent de donner la priorité la réduction de la pauvreté ».
Créer un cadre légal international sur la restructuration
L’idée de créer un cadre légal international sur la restructuration de la dette fait son chemin aux Nations Unies, y compris au niveau de l’Assemblée générale, qui a nommé un comité ad hoc sur la question. Le Conseil de droits de l’homme de son côté a déjà abordé le sujet en élaborant des « principes directeurs » sur les affaires et les droits de l’homme (2011) et sur la dette extérieure et les droits de l’homme (2012). De plus il dispose d’un rapporteur spécial (expert indépendant) sur la question.
« Les droits de l’homme n’ont pas à s’en mêler »
Le rapport du Comité consultatif – qui n’a pas encore publié ses recommandations – va remonter au Conseil des droits de l’homme pour être discuté en 2016. Interrogé par téléphone, Jean Ziegler estime que les chances qu’il soit accepté par une résolution sont relativement bonnes, étant donné que les trois-quarts des membres actuels sont des pays en développement. « Mais lors du vote sur ce mandat, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et la République tchèque se sont opposés. Selon eux les marchés financiers doivent être libres, les droits de l’homme n’ont pas à s’en mêler ». Les trois premiers ne seront plus membres du conseil en 2016, mais « ils ont des moyens financiers pour faire pression sur les pays plus pauvres ».
A supposer qu’une résolution soit acceptée par le Conseil des droits de l’homme, cela ne va pas changer la face du monde, le Conseil n’ayant pas de moyens de sanction. Selon Jean Ziegler, cela confortera néanmoins le mouvement qui est en train de se dessiner pour limiter l’activité des fonds vautours.
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Themenbezogene Interessenbindung der Autorin/des Autors
Michel Bührer est correspondant accrédité aux Nations Unies à Genève.