«Ich habe das Manifest des Massenmörders gelesen»
Disons-le sans aucune autre forme de préalable: Anders Behring Breivik, auteur de la double tuerie d’Utøya et d’Oslo, est un abject terroriste. Contrairement à ce qui a été écrit ou répété à l’envi, dans nombre de médias occidentaux, ce n’est pas qu’un simple «extrémiste» et encore moins un «fondamentaliste chrétien», définition fallacieuse dont on peut se demander si elle n’a pas été sur-employée pour accréditer l’idée qu’une religion peut en remplacer une autre, en matière d’acte barbare commis en son nom. Je ne crois pas non plus qu’il soit dément comme le prétend son avocat qui n’a peut-être trouvé que cette stratégie pour le défendre. En réalité, Breivik est d’abord et tout à la fois un islamophobe, un ultranationaliste d’extrême droite, un antimarxiste, un contempteur du multiculturalisme, un misogyne et un partisan d’Israël.
Ce n’est pas à la légère ou par émotivité que je qualifie ainsi ce salopard. Dès dimanche, alors que l’on commençait à en savoir plus sur celui qui a voulu éradiquer la jeune génération du Parti travailliste norvégien, je me suis attelé à lire le document de près de 1.500 pages qu’il a signé du nom d’Andrew Berwick et dont il faut craindre qu’il ne devienne le livre de référence de tous ceux qui rêvent de semer la mort et la dévastation, à coup d’explosifs et de balles à fragmentation, au nom de la lutte contre une prétendue islamisation de l’Europe. Rédigé en très bon anglais et intitulé «2083, déclaration européenne d’indépendance», cet écrit est tout sauf un délire comme l’ont trop vite décidé plusieurs médias internationaux dont le quotidien français Le Monde. Et c’est bien cela qui est inquiétant.
Structuré, truffé de nombreuses références bibliographiques, cohérent dans sa forme et sa progression, ce véritable manifeste est une parfaite synthèse des écrits islamophobes européens mais aussi étasuniens. Pour Breivik, l’ennemi, c’est donc l’Islam. Et pour le combattre, tous les moyens seraient bons y compris le recours à la «stratégie du choc» telle que l’a si bien décrite Naomi Klein. En le lisant, j’ai retrouvé tous les arguments et raisonnements que charrie habituellement la blogosphère de cette nouvelle extrême droite européenne pour qui le danger n’est plus comme hier le Juif mais bien l’immigré ou le citoyen musulman.
Cela fait plusieurs années que l’émergence d’une extrême droite européenne, farouchement antimusulmane, m’inquiète car, le phénomène est tout sauf anecdotique. Année après année, son discours s’est diffusé dans toute la classe politique au point que certains partis de droite, comme de gauche, se sont sentis obligés de chasser sur ses terres nauséabondes cela sans oublier des intellectuels et des journalistes de renom. Certes, Anders Breivik n’est pas Marine Le Pen ni Geert Wilder, du moins dans les faits. Ces deux dirigeants politiques dont le fonds de commerce est la dénonciation du péril musulman en Europe ont condamné les deux attentats qu’ils ont attribués à un «déséquilibré solitaire». Belle hypocrisie quand on sait que leurs propos sont à bien des égards identiques à ceux du tueur norvégien.
A force de pointer du doigt «l’islamisation rampante» de l’Occident, à force de dénoncer les «ravages du politiquement correct» (comprendre les législations antiracistes), à force de hurler contre «l’engourdissement suicidaire» de l’Europe face à l’Islam, «principale idéologie génocidaire» selon Breivik, l’extrême droite new-look a préparé et encouragé le passage à l’acte du terroriste. Et comment ne pas s’inquiéter quand on réalise, en lisant les réactions de la blogosphère identitaire, que nombreux sont ceux qui rêvent d’imiter le Norvégien mais cette fois en commettant un carnage dans une mosquée ou dans tout autre lieu à forte densité musulmane ? Comment ne pas s’indigner quand des cadres du Front national français estiment que l’immigration est la seule raison des drames d’Utøya et d’Oslo ?
Les Occidentaux ont souvent reproché aux élites des pays musulmans leurs positions ambiguës vis-à-vis du terrorisme. On se rend compte que le reproche vaut aussi pour toutes celles et tous ceux qui, au nom de la défense du peuple, prétendent comprendre les motivations diverses des islamophobes et des sympathisants et membres de l’extrême droite. Soudain, voilà que ces contempteurs du double discours des musulmans se mettent à revendiquer le droit à la nuance et la nécessité de comprendre les mécanismes ayant conduit aux deux tueries. Les voici donc qui nous disent que «comprendre n’est pas excuser» en oubliant allégrement que cette même phrase leur a permis de disqualifier nombre d’intellectuels musulmans ayant abordé la question du terrorisme islamiste…
Quand on est musulman, vivant en Europe, il y a au moins deux manières de réagir après ce qui vient de se passer à Oslo. On peut croiser les doigts et se dire que ce qu’il y a de bon dans ce continent-refuge (l’Etat de droit, la démocratie, le respect des libertés individuelles, l’engagement antiraciste mais aussi la laïcité) sera toujours plus fort que les vieux démons racistes et pogromistes dont on a peut-être cru à tort qu’ils avaient disparus. Mais on peut aussi penser que les prochaines années seront très difficiles et que le processus d’intégration – qui est réel et c’est bien cela qui affole Breivik et ses maîtres à penser – va subir nombre d’avanies sanglantes. Sans verser dans la paranoïa, il faut garder à l’esprit que le terroriste norvégien n’est pas le seul à vouloir l’expulsion de tous les musulmans d’Europe (il souhaite d’ailleurs qu’elle débute dès 2020…).
Terminons enfin par un point sur lequel je reviendrai certainement plus en détail. Je l’ai déjà précisé au début de ce texte, Anders Behring Breivik est pro-israélien. En cela, cet homme est représentatif de cette nouvelle extrême droite qui travaille à faire éclater l’habituel front qui s’est toujours opposée à elle. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les élites juives européennes ont souvent été la première ligne de défense des minorités notamment musulmanes. En affichant son soutien à Israël, les mouvances dont se revendique Breivik fragilisent cette alliance. C’est ainsi que nombre de personnalités juives, en France comme ailleurs, sont en train de devenir les cautions honorables de cette extrême droite qui, officiellement, aspire à plus de respectabilité. En réalité, ces cautions ne sont que des idiots utiles pour l’islamophobie. Des idiots utiles qui risquent de se mordre un jour les doigts pour n’avoir pas compris que, dans l’affaire, les musulmans ne sont qu’une peccadille et pour n’avoir pas deviné que, tôt ou tard, le fondement antisémite de cette extrême droite polymorphe et machiavélique, fera sa réapparition.
Themenbezogene Interessenbindung der Autorin/des Autors
Der Autor ist Journalist in Paris und spezialisiert auf die Entwicklung der arabischen Welt.