Le big business du typage de HPV
Merck, le fabricant de Gardasil®, a déployé des efforts extraordinaires pour dramatiser le rôle carcinogène de ces virus. Avec succès, puisqu’il a réussi à convaincre les autorités de santé du potentiel «phénoménal» d’une vaccination à grande échelle des jeunes filles. Dans la foulée, la focalisation sur les infections à HPV a permis aux fabricants de ces vaccins d’obtenir des extensions d’indication successives (aux femmes plus âgées, aux garçons, aux hommes) et donc d’accroître leurs perspectives de gains.
Mais ce n’est pas tout. Le fait de propulser les papillomavirus sur le devant de la scène a aussi ouvert un champ d’opportunités aux entreprises qui commercialisent des tests permettant de typer les HPV. Les fabricants de ces dispositifs (dont les leaders sont Abbott, Becton Dickinson, Hologic/Genprob, QIAGEN et Roche) ont pu profiter de l’appel d’air induit par le lancement des vaccins pour imposer leurs produits. Que ce soit pour évaluer le potentiel carcinogène de lésions précancéreuses dépistées par frottis (test de Pap ou cytologie), ou pour effectuer un test HPV en même temps que le frottis (cotesting).
Un nouveau pas a été franchi en 2014 avec l’homologation par la FDA du produit de Roche cobas® HPV. Roche a en effet été le premier à décrocher une homologation pour un test «standalone», autrement dit qui se suffit à lui-même pour dépister les lésions précancéreuses et le cancer du col. Sa vocation: remplacer le frottis cytologique. Ni plus, ni moins.
L’enjeu étant de taille, les choses n’en sont pas restées à une simple autorisation de mise sur le marché.
Sitôt l’homologation accordée, plusieurs sociétés savantes se sont hâtées de réviser leurs guidelines de dépistage du cancer du col dans un sens éminemment favorable au géant pharma. Roche s’est aussi montré généreux envers elles, comme le montre l’exemple de l’American Society for Colposcopy and Cervical Pathology (ASCCP), à laquelle les montants cumulés versés par Roche Molecular et Roche Diagnostics entre 2014 et 2016 ont atteint la jolie somme de 90 000 dollars.
L’activisme des sociétés savantes a porté ses fruits: aujourd’hui, le test HPV est en passe de remplacer le test de Pap dans plusieurs pays, Etats-Unis compris. Le gouvernement néerlandais, un pionnier de cette «révolution», a même modifié son programme de dépistage organisé, où désormais le test HPV seul est pratiqué en première ligne, et a adjugé à Roche le marché du test HPV utilisé dans ce cadre en octobre 2015.
Tous ces développements sont scrutés avec attention par les analystes, dont les pronostics sont prometteurs. Ainsi, Transparency Market Research devisait en 2015 la valeur du marché global des dysplasies du col à 349 millions de dollars et prédisait qu’elle atteindrait 640,2 millions de dollars en 2024. Même son de cloche chez Global Industry Analysts, qui a résumé le potentiel de ce secteur dans une infographie éloquente.
Roche et consorts doivent donc une fière chandelle aux fabricants de vaccins anti-HPV. Sans eux, ils n’en seraient pas là. Leur communauté d’intérêts fait qu’ils peuvent aussi compter sur les mêmes experts. Ainsi, on voit d’anciens investigateurs des vaccins anti-HPV payés par Merck, GSK, CSL ou Sanofi Pasteur MSD recommander aujourd’hui les tests HPV en dépistage primaire avec le même zèle qu’ils ont recommandé la vaccination contre le papillomavirus.
Au-delà de cette «mutualisation des ressources» et de la multiplication des conflits d’intérêts qu’elle entraîne, une question centrale demeure: le test HPV est-il vraiment un progrès pour la santé des femmes? Le doute est de rigueur.
S’il est vrai qu’ils détectent plus de lésions (meilleure sensibilité), les tests HPV ont un gros défaut: un taux de faux-positifs beaucoup plus important que le dépistage par cytologie (dû à leur manque de spécificité). Dans le cas du test de Roche, ce taux est même cinq fois plus élevé («The proportion of women with false-positive test results (positive test results without ≥ CIN3) varied between 3.3% with cytology and 14.9% with cobas»). Autrement dit, le test HPV entraîne des tests supplémentaires et augmente pour les femmes le risque d’être diagnostiquée à tort (surdiagnostic). Plus grave encore: il peut échouer à détecter certains cancers déjà développés.
Mais apparemment, les voix qui remettent en doute le bien-fondé d’un remplacement du test de Pap par le test HPV ont de plus en plus de mal à se faire entendre. Les publications visant à déclarer le débat «clos» sont toujours plus imposantes. Et Roche a annoncé le 28 mars 2017 le lancement de son test cobas® HPV de nouvelle génération.
L’horizon en termes de gains s’annonce donc réjouissant.
Reste un paradoxe de taille. Comment se fait-il qu’on prédise un avenir éclatant au test HPV? Au moment du lancement de Gardasil®, ne nous a-t-on pas juré que l’incidence des lésions du col allait s’effondrer grâce à la vaccination anti-HPV? Ces perspectives de disparition prochaine de la menace du papillomavirus grâce à l’immunisation ne devraient-elles pas faire trembler le fabricants de test HPV? Que Roche et les autres se rassurent: les meilleures preuves dont on dispose montrent que les vaccins anti-HPV n’affecteront pas l’incidence globale des lésions précancéreuses du col. Mieux encore: certains éléments suggèrent que grâce à la vaccination, cette incidence pourrait même… augmenter.
Themenbezogene Interessenbindung der Autorin/des Autors
Aucuns. Les journalistes Serena Tinari et Catherine Riva publient sur leur site «Re-Check –Investigating and Mapping – Health Affairs».
Ce qui confirme notre appréciation lors de l’introduction de ce vaccin. La fausse sécurité d’être vacciné risque d’abandoner la prudence élémentaire des méthodes «classiques», mais crée un marché important qui fait monter les valeurs en bourse des firmes concernées.